Hypnose et Ostéopathie

La proprioception : notre sensorialité profonde

Dr Anne-Sophie BOUTHORS
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Du VAKOG au VAPKOG. Ces quelques lignes se veulent une porte de réflexion sur la place que nous pourrions accorder à la sensibilité proprioceptive dans les phénomènes hypnotiques.

C’est mon métier d’anesthésiste-réanimateur en maternité et mon expérience de danseuse, de plongeuse et du yoga qui m’autorisent à partager cette réflexion.

En effet à côté de la sensorialité tournée vers l’environnement qui fait appel aux canaux visuels, auditifs, kinesthésiques, olfactifs et gustatifs, notre sensibilité profonde, proprioceptive et intéroceptive fournit des informations vitales, posturales et fonctionnelles, ancrées au fin fond de nous. Ces informations sont trans- mises sur des faisceaux neuronaux spécifiques à des parties spécifiques du paléo-cerveau. Cette sensibilité peut être appelée à la pleine conscience par la voie de l’hypnothérapeute, mais aussi par le jeu des postures ou la chorégraphie. Elle mérite d’être visitée et nous en proposons un premier survol.

VUE D’ENSEMBLE DE LA PROPRIOCEPTION
Les sensations profondes sont différentes de la sensorialité VAKOG. Elles sont transmises par des fibres nerveuses dédiées, les fibres Aγ systématisées sur des voies différentes de celles de la douleur A et C des sensations épicritiques Aß. Les fibres Aß transmettent les informations proprioceptives inconscientes à partir des ligaments et des tendons aux structures spécifiques cérébelleuses et protubérantielles. Certaines informations de posture consciente et de mouvement empruntent également ces voies. Les informations intéroceptives sont transmises principalement par les fibres A C, sympathiques-parasympathiques et thermo-algiques.

La sensibilité proprioceptive est un sens profond, le plus souvent vécu sans conscience volontaire. C’est grâce aux exocapteurs, entre autres plantaires, du derme (disques de Merkel, corpuscules de Ruf- fini et corpuscules de Pacini), véritables jauges de contraintes miniaturisées, que la proprioception informe l’organisme. C’est par la proprioception que notre pied s’adapte à la consistance du sol au fur et à mesure du terrain qu’il rencontre. Elle permet de moduler à la dureté du sol la force musculaire et la pression appliquée. Elle permet à la cheville de s’orienter dans le sable mou pour que la pression soit constante et que le pied puisse se dé- ployer. Elle permet de sentir l’épaisseur du tapis, l’amplitude du mouvement, le maintien d’une posture occupant une place capitale dans l’exercice du yoga, du qi gong ou dans l’art de la danse.

La pratique du qi gong et du yoga plonge le sujet par cet art de la maîtrise du souffle (focus attentionnel sur le K du VAPKOG),dans la posture et la gestuelle (focus attentionnel sur le P du VAPKOG) qui de- mande en permanence des ajustements posturaux correcteurs (APC) effectués en pleine conscience afin d’être dans la forme artistique la plus juste et la plus harmonieuse possible selon les canons de cette tradition millénaire. Elle donne par l’étirement des muscles intercostaux et des fascias la mesure inconsciente mais intégrée de l’ampliation thoracique imprimée par l’inspiration, puis de la détente naturelle automatique de ces mêmes muscles dans l’expiration. 

Par l’intermédiaire de l’oreille moyenne, la proprioception donne la mesure de la pression dans l’environnement. Normalement équilibrée à la pression de 1 bar, elle diminue en altitude et augmente en plongée. En plongée, elle permet d’équilibrer la flottaison, la stabilisation entre la portance de l’eau (poussée d’Archimède) et le poids du corps. Une infime variation du volume d’air dans les poumons modifie la flottaison et permet de s’élever légèrement ou d’être un peu plus profond sans changer sa posture ni effectuer le moindre mouvement : c’est le poumonballast. Ce lien très puissant entre l’amplitude de la respiration et la stabilisation en fait un phénomène proprioceptif et intéroceptif fascinant. Cette stabilisation dans l’air ou dans l’eau est ressentie profondément dans l’organisme au-delà des mécanismes conscients. C’est la proprioception qui permet de ressentir les vibrations. Elle est évaluée grâce à un diapason placé sur le front. Elle va transmettre par voie osseuse les vibrations environnantes, qu’elles soient issues d’un téléphone portable ou émises par un instrument de musique ou par sa voix, sa parole, son chant ou ceux des autres. C’est elle également qui modifie la posture et la mimique en fonction des émotions et qui induit les phénomènes miroirs chez l’interlocuteur. C’est la sensorialité de « l’être dans l’environnement ». Elle fait appel aux mécanorécepteurs distribués dans la totalité du corps. Ces capteurs proprioceptifs racontent le corps au cerveau 24 heures sur 24, de façon automatique et involontaire, sur la configuration posturale, la façon dont le corps est déformé par le mouvement ou la tension sur les mâchoires inférieures. Lorsque ces signaux sont amenés à la conscience par la voix de l’hypnothérapeute, la conscience corporelle du soi et de l’être incarné émerge de façon plus intense et le recrutement de toutes les ressources disponibles du patient peut être facilité. L’intéroception, 2e volet de la proprioception, est la sensorialité de l’être en luimême. C’est la contraction de l’estomac si l’on a faim ou la sécheresse de la bouche si l’on a soif. C’est la sensation d’apaisement et de plénitude de la phase de digestion ou de la grossesse. C’est le ressenti des mouvements du foetus dès le quatrième mois de la grossesse. C’est aussi la synchronisation mère-enfant pour l’allaitement maternel ou le rythme du sommeil.

EN QUOI LA PROPRIOCEPTION EST-ELLE DIFFÉRENTE DE LA KINESTHÉSIE ?

La proprioception, l’intéroception et la kinesthésie forment la somesthésie. La kinesthésie est le sens du toucher qui permet à la main et à la peau tout entière de fournir des informations sur l’environnement instantané immédiat. La main particulièrement occupe une part énorme dans le cortex somesthésique, autorisant une appréciation très fine du contact, de la texture, de la température, de la position d’un objet. La kinesthésie, c’est le massage pour établir le contact avec l’autre et ressentir ou apaiser ses tensions comme ses relâchements. Elle est en ce sens en lien mais différente de la proprioception.

UTILISER LA PROPRIOCEPTION ET L’INTÉROCEPTION DANS L’HYPNOSE MÉDICALE

Cette sensorialité profondément ancrée en nous-mêmes est une source inépuisable de focalisation et de recentrage sur ces potentiels extraordinaires de l’organisme qui paraissent tellement naturels qu’on oublie combien ils sont complexes et performants (mise en tension des mécanocepteurs, rythme et amplitude des mouvements respiratoires, modification de la variabilité du rythme cardiaque induit par la respiration, effets sur l’équilibre sympathique/ parasympathique, modifications des pressions dans l’axe trachéal et dans la sphère abdominale). La mise en valeur de ces capacités innées renforce la confiance en soi. L’observation détachée du flux d’air apaise et centre le sujet sur le présent. La focalisation sur l’ampliation thoracique et cette tension inconsciente sur les mécanorécepteurs met en jeu des modifications profondes involontaires qui participent à l’apaisement.

L’analyse du mouvement et de la marche peut porter des messages thérapeutiques pleins de sens : l’analyse pas à pas fournit une accroche simple de cette prise de conscience, de cette focalisation à soi et aux mécanismes naturels et automatiques de l’organisme. Milton Erikson regarde sa petite soeur faire ses premiers pas alors qu’il était paralysé par sa poliomyélite et réapprend mentalement puis physiquement à marcher. La décomposition du pas est capitale et synchronisée à la respiration, comme bercée dans les demi-pas rythmés par la respiration de la marche méditative lente du zen Soto, appelée kin-hin. Dans le film Avatar de James Cameron, le héros paralysé, figé dans son corps humain, redécouvre par son avatar le contact du pied avec la terre argileuse, la propulsion et l’impulsion et il rit de ce pouvoir retrouvé. L’analyse de la marche porte sur toutes ses composantes. Le deuxième pas ne se fait qu’après une phase de déséquilibre qui protège le corps et son centre de gravité vers l’avant. Il faut une rupture d’équilibre pour faire un pas vers un nouvel équilibre ; il faut oser bouger et rompre l’équilibre pour avancer. La tête et le regard porté par la force des muscles du cou définissent le cap à suivre. L’espace défini par le mouvement des bras et l’orientation de ce balancement constitue un élément majeur dans la cinétique et l’élan. Le cercle de sustentation qu’il induit décrit un périmètre que le corps occupe. Cet espace délimite la présence et l’espace vital. C’est cet espace qui entre en connexion avec l’espace des autres et qui va régir comment nos déplacements communs sont coordonnés ou désordonnés.

Cette présence à soi est une source inépuisable de recentrage pour l’hypnothérapeute

 

ANNE-SOPHIE BOUTHORS Anesthésiste-réanimatrice à la maternité du CHRU de Lille. Formée à l’Institut Milton Erickson de Liège-Luxembourg, comme une partie de ses collègues, infirmiers anesthésistes et sages-femmes. Membre du comité pédagogique du diplôme universitaire (DU) d’enseignement de l’hypnose médicale à la Faculté de médecine de Lille, qu’elle a contribué à créer avec le professeur Olivier Cottencin et le docteur Henri Bensoussan. Pratique le yoga et la méditation,

BERTRAND PORET Ostéopathe en libéral à Santes. Formé en médecine traditionnelle chinoise et en qi gong depuis plus de trente ans, il enseigne le qi gong. Formé à la MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction), il en est également instructeur. Titulaire du DU de Médecine, méditation et neurosciences de l’université de Strasbourg. Pratique régulièrement les arts martiaux, le qi gong, la méditation et la voile.

 

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